http://www.telquel-online.com/186/couverture_186_1.shtmlZmagria vs blédardsFace à face, huit jeunes Marocains (4 émigrés et 4 locaux) débattent. Regards croisés sur les stéréotypes qui bloquent leurs relations : rapports entre sexes, identité, religion, retour au pays, monarchie. Critiques, piques et franc déballage… ça balance !
Stéréotypes, identitéMeryem. Ce qui me bloque, c’est votre côté "frimeur". Les zmagria sont plus voyeurs : la décapotable, les fringues (casquette Lacoste). J’ai l’impression qu’ils viennent pour s’amuser, frimer, sortir avec des filles, et repartir.
Nawel. Quand je suis au bled, les gens croient que je suis pleine aux as. Que je me la pète. Je pense que c’est notre mode de vie qui dérange parce qu’il est différent.
Youssef. J’ai le sentiment que c’est dû à la façon dont on a été élevés. Nos parents nous ont donné une éducation traditionnelle. Mais le Maroc a changé.
Meryem. On vit la même chose que vous, ici. L’éducation parentale est pesante pour les Marocains de l’intérieur, également.
Rachid. Quand je vous entends parler, j’ai l’impression qu’il nous manque "le gène marocain". Qu’on n’est pas de vrais Marocains. Quand on se présente, qu’on dit d’où on vient, il y a souvent une mise à distance : "Ah d’accord, tu es émigré !". On est prisonniers de cette image du Marocain qui vient se payer des vacances au pays, parce qu’il est obligé de revenir chaque été.
Youssouf. On ne vous met pas tous dans le même panier. Vous n’êtes pas représentatifs du look short-casquette dont on se moque généralement.
Meryem. Je trouve que les MRE sont plus radicaux que nous, moins ouverts. J’ai le sentiment qu’on prend deux chemins inverses. Alors, qu’on essaie de s’ouvrir à l’Europe, vous voulez être plus Marocains que nous.
Youssef. En Europe, notre culture marocaine est le résultat d’un bourrage de crâne. à six ans, on arrive à l’école, c’est le choc culturel. C’est à cet âge qu'on se rend compte qu’on n’est pas chez nous.
Nawel. Nous sommes des Marocains pour les Français, et des Français au Maroc. Ça ne change pas et ça ne changera pas.
Mahfoud. C’est votre problème d’intégration. On n’y est pour rien, ici.
ReligionMahfoud. En Europe, vous avez des mosquées et vous recevez une éducation musulmane meilleure qu’ici.
Youssef. La religion, tu la vis chez toi. Les Européens sont tolérants, tant que ça reste dans le domaine privé.
Meryem. Je suis d’accord pour que la religion reste dans l’espace privé. Mais en Europe, son expression est plus communautaire. Vous restez prisonniers de l’islam des autres. C’est toujours : "tel imam a dit". Il y a des Corans traduits. Vous pourriez vous faire votre propre idée…
Kayna. Mais, c’est plus facile d’apprendre, ici. Au Maroc, tout le monde est musulman, pendant le Ramadan, il y a une vraie ambiance. Vous baignez dans une culture musulmane, avec les parents, etc.
Youssef. Les immigrés font plus d’effort pour être musulmans. Au Maroc, tu subis.
Yassir. Je pense que les immigrés donnent une mauvaise image de l’islam, avec les attentats terroristes.
Nawel. Ce n’est pas seulement ça. J’ai été choquée de voir que l’on pouvait acheter librement du porc et de l’alcool au Maroc, un pays musulman. Je suis fière d’être musulmane, mais ici j’ai l’impression que les Marocains veulent trop ressembler à la France.
Rachid. Je ne me retrouve pas du tout dans ce que vous dites. Je suis bien dans les deux sociétés. Je m’y sens chez moi, je suis très attaché à ma famille, et je préfère préserver mon intimité. Quand on me demande si je suis musulman, je réponds : "Je ne suis pas végétarien". Le plus important, c’est d’aller à la rencontre des gens. Malheureusement, la majorité ne pense pas comme ça.
Relations entre sexesKayna. Le regard des locaux sur les filles MRE est pesant.
Nawel. Alors qu’en fait les filles d’ici s’habillent comme nous. Si ce n’est pire. En France, personne ne te prête attention, ici on est hyper sollicitées (rires). C’est très flatteur, mais parfois, on a l’impression que les mecs cherchent les papiers.
Yassir. Détrompe-toi. Ça arrive aux Marocaines, aussi.
Meryem. Je ne vais pas très loin, parce que j’ai peur des beurs. Je comprends leurs problèmes, mais il y a un fossé énorme entre nous. Sur tous les sujets, il n’y a pas d’ouverture, possible. Les mecs pensent que toutes les Marocaines sont des filles faciles.
Nawel. J’avoue que je ne parle pas aux blédards. Je les trouve bornés.
Youssef. Non, il faut dire que ça a beaucoup changé. Avant la Moudawana, il y avait des comportements machistes que je ne comprenais pas, dans ma propre famille.
Meryem. Mais tu te comporterais de la même façon avec une Marocaine ou une Européenne?
Youssef. C’est vrai qu’il y a une énorme pression des parents. Chaque année quand je rentre, je pense à la femme que je pourrais présenter à ma mère. On a peur, et on ne sait pas quoi faire. Ici la drague est un sport national.
Nawel. Vous avez évolué. Mais il y a des comportements qui m’interpellent. Mon frère s’est marié avec une blédarde en France. Elle est très soumise et reproduit les clichés de la femme attentionnée, docile.
Meryem. J’ai l’impression que les filles MRE sont plus puritaines.
Rachid. C’est beaucoup plus simple avec les Européennes. Les Marocaines sont plus compliquées. Il y a le problème de la virginité, qui n’existe pas en Europe.
Nawel. C’est vrai qu’on galère en France. Avec les frères, le père…. Je pense que les filles, ici au Maroc, ont de la chance…
Retour au paysNawel. Ça n’empêche pas que je ne pense pas pouvoir vivre au Maroc, j’ai une triple culture, c’est un peu compliqué.
Meryem. Le Maroc bouge. Mais il faut que les gens prennent conscience que l’évolution est nécessaire. Il ne s’agit pas de se rebeller pour se rebeller.
Rachid. Ce que je trouve important, c’est la sécurité et la stabilité. La liberté vient après.
Youssef. Oui, mais je ne sais pas si nous aurons l’ambition de nous installer au Maroc.
Kayna. Au Maroc, on est là pour faire entrer de l’argent, c’est tout.
Rachid. Il faut enlever le côté brochure touristique. Des amis sont venus investir au Maroc. Ils se sont faits racketter de partout, trop de bakchichs et de magouilles. Ils sont repartis sur la Côte d’Azur…
Meryem. Il y a beaucoup d’hypocrisie. On se souvient des MRE chaque été. Et pendant l’année, on fait comme s’ils n’existaient pas.
Youssef. Les MRE ne croient plus au retour économique affectif. S’ils y trouvent un intérêt, ils viendront. Les salaires qu’on leur propose, ici, sont ridicules. Ça ne motive pas.
Le RoiNawel. Vous êtes trop soumis à ce type. Partout où on va, il y a des portraits de lui. Pourtant, il ne fait pas tant que ça pour vous.
Kayna. C’est vrai. Il fait quoi pour vous, en fait ?
Meryem. Ce n’est pas nous qui accrochons ses photos.
Kayna. Il y a une évolution sur ce sujet, mais elle reste très timide.
Youssef. Le roi est idolâtré. à la mort de Hassan II, les gens pleuraient dans les rues. On avait l’impression qu’ils avaient perdu leur père.
Mahfoud. C’était le deuil, c’était un grand choc pour beaucoup de gens. Personne ne savait ce qui allait se passer.
Rachid. Je ne suis pas là pour critiquer. Je vois du positif par rapport à l’ancien règne. L’évolution est vraiment hallucinante. Je rentre après trois années, et je vois que des tas de chantiers sont ouverts. Maintenant, c’est à vous de faire avancer les choses dans le bon sens.
Youssouf. Tu sais, nous n’avons pas choisi, non plus.