Je suis né à Fès le 1er décembre 1944.
J'ai fréquenté d'abord l'école coranique du quartier, ensuite, à 6 ans je suis entré à l'école primaire franco-marocaine bilingue. Le matin l'enseignement était donné en français, l'après midi en arabe. L'école était dirigée par un Français.
En 1955, mes parents déménagent à Tanger où je rejoins avec mon frère l'école primaire du détroit où je passe le certificat d'études primaires.
En 1956 j'entre au lycée Ibn Al Khatib. Enseignement à majorité francophone.
Après le brevet je passe au lycée français Regnault où j'obtiens mon baccalauréat en 1963.
A Rabat, études de philosophie.
23 mars 1965 : manifestations d'étudiants et de lycéens dans les grandes villes du Maroc. Répression, arrestations.
Juillet 1966 : Mes études de philosophie sont interrompues ; je suis envoyé dans un camp disciplinaire de l'armée (à El Hajeb puis à Ahermemou dans l'Est du Maroc) avec 94 autres étudiants soupçonnés d'avoir organisé les manifestations de mars 65
Je suis libéré en janvier 1968 et je reprends mes études.
Octobre 1968 : je rejoins mon premier poste d'enseignant au lycée Charif Idrissi à Tétouan où je suis le premier professeur de philo dans cet établissement.
Je publie la même année mon premier poème " l'Aube des dalles " dans le revue " Souffles " écrit en cachette dans le camp disciplinaire.
Octobre 1970 : je suis muté au lycée Mohamed V à Casablanca. J'ai peu enseigné durant cette année à cause des grèves des lycéens.
Les éditions Atalantes, rattachées à Souffles que dirigeait le poète Abdellatif Laabi publient mon premier recueil de poésie " Hommes sous linceul de silence " préfacé par Abraham Serfaty.
Juin 1971, un communiqué du ministère de l'intérieur annonce qu'à partir de la rentrée de 71, l'enseignement de la philo sera arabisé. N'étant pas formé pour cela je demande une mise en disponibilité au ministère et décide de venir à Paris pour faire une thèse de troisième cycle en psychologie. Une association caritative française me donne une bourse de 500 FF par mois.
J'arrive à Paris le 11 septembre 1971. J'habite à la Cité universitaire internationale au pavillon " Maison de Norvège ".
Grâce à François Bott, adjoint de Jacqueline Piattier directrice du Monde des Livres, je publie mon premier article dans Le Monde le 19 juin 1972 " Technique d'un viol " (contre Paul Bowles).
"Partir" le nouveau roman de T. Ben Jelloun Posté le 09-01-2006
Sortie le 19 janvier 2006 chez Gallimard
Comment se situe ce roman dans votre œuvre ?
--Faire une œuvre c’est comme construire une maison ; on ajoute une pièce à l’ensemble sans défigurer l’architecture globale. Il y a une cohérence même si les thèmes traités dans les autres livres sont différents les uns des autres. Témoin de mon époque, témoin de ma société, j’observe et j’écris, je regarde et je recrée. De « Harrouda » (1973) à « Partir » (2006) on peut retrouver des thèmes récurrents, des sujets inépuisables, des personnages qui me hantent et qui reviennent sous d’autres noms ou en gardant leur nom comme Moha.
Pourquoi « Partir » ?
--Je suis parti d’un constat simple : de plus en plus de jeunes marocains désirent partir travailler et faire leur vie ailleurs, en Europe principalement et parfois en Amérique du Nord.
Ce désir est violent, obsessionnel, inquiétant, voire névrotique. Partir à tout prix, même si on risque sa vie.
Cette volonté de s’en aller avec une telle détermination, n’existait pas à mon époque, c’est-à-dire dans les années 60-70. Certains quittaient le Maroc pour fuir la répression et pour mener le combat pour les libertés à partir de l’étranger, mais la plupart ne rêvaient que d’une chose c’est de revenir dans leur pays.
Aujourd’hui, les difficultés économiques ont remplacé le malaise politique et le manque de liberté. On cherche à s’en aller parce qu’on pense qu’ailleurs on trouvera du travail. Mon personnage principal, Azel, est un diplômé chômeur ; il a fait des études supérieures, il a voulu servir son pays, mais il n’a pas trouvé de travail ; il passait ses journées à traîner dans les cafés à ressasser son désir de s’en sortir et à mariner dans l’échec. C’est pour cela qu’il n’hésitera pas à accepter l’offre d’un dandy homosexuel espagnol. En partant avec Miguel, il répond à une de ses attentes, mais il évalue mal le prix à payer : trahir sa sexualité. Cela ne pardonne pas.
Le roman n’est pas très optimiste, pourquoi cette noirceur ?
--Ce n’est pas le roman qui n’est pas optimiste, c’est la réalité. Le romancier n’est pas là pour enjoliver la vie ; il doit montrer à travers la fiction combien cette vie est chargée d’injustices, de blessures, de problèmes.
Cela dit, la fin est pour moi une ouverture sur quelque chose de meilleur, mais ce n’est pas le happy end traditionnel, la fin reste ouverte sur plusieurs possibilités. Le roman se situe dans les années 90 au moment où Hassan II décide d’assainir le Nord du pays où sévissaient des trafiquants de drogue, des mafieux, des délinquants etc. Il s’achève à l’arrivée de Mohamed VI et cette arrivée est perçue par un des personnages comme la promesse d’une vie propre, un avenir pour le respect des droits de l’homme et des libertés.
C’est un livre politique ?
--Tout regard est politique. Ce n’est pas idéologique, mais la littérature s’empare du réel avec sa complexité et le redonne dans une fiction qui souvent est en deça de la réalité.
Le Maroc est un pays qui bouge et qui avance, certes lentement, mais qui promet de ne plus tomber dans les années de plomb qui ont endeuillé des dizaines de milliers de familles. Ce roman qui vient après « Cette aveuglante absence de lumière » (2001) accompagne ce nouveau Maroc. Optimiste mais prudent, vigilant.